Alors que les règlements d’arbitrage imposent de plus en plus souvent aux parties de révéler la présence d’un tiers financeur dans une procédure d’arbitrage, voilà une décision de la Cour d’appel qui pourrait rassurer les tiers financeurs mais aussi les parties financées.

Dans le cadre d’un recours en annulation dans lequel les défenderesses au recours étaient représentées par Maîtres Caroline Duclercq et Hervé Cabeli, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 25 janvier 2022, a refusé de qualifier un tiers financeur de co-demandeur dans une procédure arbitrale.

A titre préliminaire, la Cour d’appel, qui été saisie d’un recours en annulation fondé sur l’article 1520, 1° du Code de procédure civile, c’est-à-dire sur la compétence – ou non – du tribunal arbitral, a rappelé l’étendue et les limites de son contrôle :

  • Elle a tout d’abord réitéré l’attendu de l’arrêt Schooner selon lequel « lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d’invoquer sur cette question, devant le juge de l’annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve ».
  • Elle a cependant ajouté que « [l]e juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage, sans toutefois que cela lui donne le pouvoir de réviser au fond » si bien qu’« il n’appartient pas à la cour de se substituer aux arbitres, ni d’apprécier la pertinence de leur raisonnement dans l’appréciation de leur propre compétence, mais d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage ».

En ce qui concerne la compétence du tribunal arbitral à l’égard du tiers financeur, la Cour d’appel a tout d’abord rappelé que l’appréciation de la clause compromissoire pour statuer sur la compétence du tribunal arbitral « doit se faire au regard de la volonté des parties, sans que la loi française ait vocation à s’appliquer, en application de la règle matérielle du droit international de l’arbitrage rappelée selon laquelle la clause compromissoire s’apprécie, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties au vue de l’ensemble des circonstances de l’affaire, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique ». Dans ces circonstances, la Cour d’appel a analysé les termes des statuts de la société qui comprenaient la clause compromissoire et notamment la définition d’actionnaire et donc de partie liée par la clause compromissoire. Elle a considéré qu’en l’espèce, le tiers financeur n’était ni propriétaire ni cessionnaire des actions de la société à la date à laquelle le contrat de financement a été signé. La qualité d’actionnaire ne peut par conséquent lui « être attribuée par anticipation sur un transfert hypothétique, mais seulement « ultérieurement » c’est-à-dire une fois que la cession sera réalisée ». La Cour d’appel en a ainsi conclu que le tribunal arbitral s’était à juste titre déclaré incompétent à l’égard du tiers financeur – indûment – attrait comme co-demandeur à la procédure arbitrale.

Par ailleurs, la Cour a relevé que « s’agissant […] de l’immixtion d[u] […] tiers financeur [dans la procédure arbitrale] au point de se voir étendre la clause compromissoire, il appartient aux recourrantes (sic) non seulement d’en établir la réalité, mais encore de rapporter la preuve que cette immixtion n’est pas inhérente à sa qualité de tiers-financeur participant nécessairement à la procédure, seules des circonstances exceptionnelles pouvant permettre une telle extension ». Le fait que le tiers financeur ait été officiellement déclaré dans le cadre de l’arbitrage, qu’il soit intéressé à l’issue du litige sous une autre forme que simplement pécuniaire (à savoir la cession d’actions d’une société concurrente) et qu’il soit un tiers financeur occasionnel ne constitue pas une telle circonstance exceptionnelle selon la Cour. La Cour rappelle également que le tiers financeur et la partie financée ont des intérêts distincts.

Ce faisant, la Cour d’appel restreint la possibilité d’attraire des tiers financeurs aux procédures impliquant la partie financée.

Enfin, d’un point de vue procédural, à noter également que, sur proposition des recourantes, la chambre internationale a souhaité entendre un professeur de droit qui avait rendu une consultation sur un point de droit spécifique pour l’une des parties ; à cette occasion, la Cour d’appel a autorisé les parties à interroger directement la personne auditionnée, faisant ainsi prévaloir une approche souple du Protocole applicable en l’espèce devant la Chambre internationale et notamment son article 5.4.4  qui prévoit que « [l]es témoins pourront ensuite être invités par le juge à répondre aux questions que les parties souhaitent poser », plutôt qu’une lecture stricte de l’article 214 du Code de procédure civile selon lequel les parties ne peuvent s’adresser directement aux témoins.        

Voir aussi : https://www.lemondedudroit.fr/deals/80383-cour-appel-paris-refuse-qualifier-tiers-financeur-co-demandeur-procedure-arbitrale.html.