En 2019, une étude menée par la Fondation des Femmes indiquait que 80% des interrogées ne constataient aucune amélioration concernant l’égalité homme/femme par rapport à l’année précédente. Où en sommes-nous de cette égalité en 2020 ? Les réponses de Valence Borgia.
Le financement et le droit, les deux piliers de la Fondation des Femmes
Donner aux associations les moyens de lutter efficacement en faveur de l’égalité et contre les violences faites aux femmes. Voici l’ambition à laquelle souhaite répondre la Fondation des Femmes. À l’origine de celle-ci, un constat de Anne-Cécile Mailfert, aujourd’hui sa présidente. Engagée de longue date dans les associations féministes sur le terrain, elle s’était aperçue que bien souvent, alors que les associations ne manquaient pas d’expertises, d’engagements et de bonne volonté, leur action était finalement bloquée par le manque de fonds. De son côté, Valence Borgia, en tant que juriste, a toujours estimé que le droit devait être le premier outil d’égalité entre les hommes et les femmes. Pourtant, en dépit de l’existence d’un certain nombre de législations, les choses ne semblaient pas évoluer. « À un moment il faut être dans l’action. On avait besoin de deux moyens essentiels : les moyens financiers et les moyens juridiques », explique Valence Borgia.
C’est ainsi que la Fondation des Femmes a vu le jour, centrée autour de deux actions principales. D’un côté l’organisation dote les associations féminines de moyens financiers. Elle lève des fonds et génère des collectes auprès de partenaires entreprises et du grand public. De l’autre, elle leur assure un soutien juridique par la mise en place de “La force juridique”. Cette commission réunit plus d’une centaine d’avocats et d’avocates. Elle a pour vocation de soutenir les associations sur des demandes de droit et intervient dans des contentieux stratégiques. À ces deux piliers, le financement et le droit, s’ajoute un troisième soutien : les moyens matériels. La Fondation des Femmes a par exemple ouvert au mois de mars la Cité Audacieuse. Située rue de Vaugirard à Paris, elle constitue aujourd’hui le premier lieu d’accueil en France d’un tissu d’associations consacrées à la défense des droits des femmes.
2020 : où en sommes-nous de l’égalité hommes-femmes ?
La Fondation des Femmes publiait en mars 2019 la première édition du baromètre sur le regard des Français concernant l’égalité entre les femmes et les hommes. 80% des Françaises considéraient alors que la situation en matière d’égalité ne s’était pas améliorée par rapport à l’année précédente. 17% estimaient même qu’elle s’était au contraire dégradée. Un an plus tard, où en sommes-nous de l’égalité hommes-femmes ? Nous avons interrogé Valence Borgia à ce sujet.
« Ce qui est certain, c’est qu’on parle davantage de la question des violences faites aux femmes. À la veille du confinement l’actualité c’était l’affaire Polanski. Tout cela a énormément alimenté le débat dans le prolongement de la vague #Metoo », note Valence Borgia. Elle reste cependant convaincue que l’unique manière d’évaluer s’il y a une amélioration dans la situation des femmes passe par l’étude du nombre de condamnations. S’il est proportionnel à l’augmentation des plaintes générées par ce mouvement, on pourra estimer que les choses évoluent dans le bon sens. « On en parle, c’est positif. Pourtant, je constate qu’en France, on a évoqué de nombreuses affaires mais aucun homme public, n’a été condamné à une sanction lourde. Or, sur le sujet des violences, on peut bien en parler, mais il faut surtout que cela se traduise judiciairement », affirme l’avocate.
S’agissant des violences conjugales, Valence Borgia affirme que la situation reste inchangée. « Les féminicides n’ont pas drastiquement diminué par rapport aux années précédentes, bien au contraire. En revanche, le sujet est au cœur des débats. Grâce aux associations et à toutes celles et ceux qui se mobilisent », souligne-t-elle. Valence Borgia évoque notamment le Grenelle sur les violences conjugales. La Fondation des Femmes avait insisté pour que ce sujet soit au centre des discussions à l’automne dernier. « Est-ce que ce qui en est sorti est à la hauteur des attentes du terrain ? Non », déclare la co-fondatrice de la Fondation des Femmes.
Changer de regard pour changer les choses
Valence Borgia est convaincue d’une chose, c’est que toutes celles et ceux qui prétendent qu’on hérite aujourd’hui du fruit d’inégalités d’un autre temps et qu’elles vont se résorber vertueusement à la faveur de l’émancipation des femmes, se trompent. « Je n’y crois pas une seule seconde. Si on ne fait rien et si on continue à faire comme on a toujours fait, ce sera très long pour atteindre l’égalité », alerte-t-elle. L’avocate se dit pourtant optimiste. Toujours dans l’action, elle estime qu’il faut être prêt à prendre des décisions difficiles et immédiates pour faire avancer les choses. « Il devrait y avoir autant d’hommes que de femmes dans les instances politiques, dans les entreprises à des postes à haute responsabilité. Les grilles de salaires devraient être repensées pour que ceux des femmes soient aussi élevés que ceux des hommes », proteste Valence Borgia.
Selon elle, les inégalités salariales se matérialisent notamment par la concentration des femmes dans certains secteurs pour lesquels les salaires sont très peu valorisés. Alors même que ce qu’on demande à ces personnes requiert des compétences extrêmement pointues. « Mais parce que ce sont des femmes, on considère que ce ne sont pas des compétences mais des qualités naturelles. Je pense par exemple aux métiers du care et aux infirmières. Tout le monde semble penser que ce sont des métiers dans lesquels les femmes sont naturellement compétentes. Pourtant, ce qu’on confie à ces individus, femmes ou hommes, est extrêmement précieux. Cela demande une expertise à mon sens, au moins égale voire plus grande, que d’autres types de compétences, dans d’autres secteurs principalement occupés par des hommes. Et pourtant, les grilles de salaires n’expriment pas cela », regrette Valence Borgia.
C’est en changeant notre vision du monde que les choses pourront évoluer. « Certaines situations ne sont pas des conséquences naturelles de qualités intrinsèques des uns et des autres, mais seulement la conséquence d’un monde profondément inégalitaire. À partir du moment où on en est convaincu, on agit. Mais cela demande de changer de regard », insiste-t-elle. Elle se montre d’ailleurs très attentive à ces questions dans son quotidien. « Je travaille sur un projet pour lequel je me bats pour qu’il y ait autant d’hommes que de femmes. Il y a de grosses résistances », témoigne-t-elle. Et d’ajouter : “Dans de nombreux secteurs, ce sont toujours les mêmes principes qui se déclinent. Le stéréotype crée une discrimination, qui crée une inégalité. Puis l’inégalité vient renforcer le stéréotype. C’est un cercle vicieux qu’il faut briser ».