La table ronde sur « L’audition efficace du témoin en contentieux » organisée par Droit & Procédure et Paris Place de Droit et modérée par Valence Borgia (Medici) le 24 mars 2022 a permis de réunir, en présentiel, de nombreux praticiens (dont les intervenants Frédérick Favre, Jean-Yves Garaud, Ioana Knoll-Tudor, Alexis Werl et Christian Wiest) pour échanger sur cette pratique de l’audition des témoins, encore méconnue alors qu’elle constitue un élément de l’attractivité de Paris comme place de droit.
Cette table ronde était divisée en deux temps.
La première partie de la conférence qui portait sur le contexte, les enjeux et les attentes des différents acteurs de la place a mis en avant les différences entre la pratique de l’audition des témoins en common law et en droit civil, sur lesquelles Ioana Knoll-Tudor est revenue, le juge et les parties jouant un rôle différent dans chacun de ces systèmes de droit.
Le Président Christian Wiest a pu revenir sur les nouveautés apportées par les protocoles devant les chambres internationales du Tribunal de commerce et de la Cour d’appel de Paris ainsi que sur le Guide pratique de procédure devant les chambres commerciales internationales (usage de l’anglais, usage du calendrier de procédure de manière systématique pour plus de visibilité, mise en place de dispositions concernant l’audition des parties, de techniciens et d’experts, audition consignée par procès-verbal ou par un/une sténotypiste, audience réservée aux expertises, etc.), en insistant sur l’important liberté laissée aux parties. Le Président a également souligné le caractère précieux des auditions de témoins pour les juges dans des litiges de plus en plus techniques.
Jean-Yves Garaud a rappelé les limites de temps et d’argent qui peuvent limiter le recours à des auditions de témoins, analysé la situation actuelle sous cette angle et proposé des solutions inspirées de l’arbitrage là où cela était possible pour plus d’efficacité : pas de témoignage direct du témoin par la partie qui présente le témoin, questions fermées, juge en retrait pendant les questions de l’avocat adverse pour réserver ces questions à la fin et en charge de contrôler le processus pour s’assurer que les réponses restent limitées dans le temps, retranscription verbale par une sténotypiste si les parties en ont les moyens ou enregistrement audio pour pouvoir avoir une restitution exacte de ce qui a été dit.
Alexis Werl a rejoint Jean-Yves Garaud sur les problèmes de moyens et de temps limitant le recours à l’audition des témoins et est revenu sur l’audition des témoins en matière pénale et le rôle central du juge en la matière, soulignant qu’il n’est pas recouru à l’audition des témoins aussi souvent qu’on pourrait le croire, sauf devant la Cour d’assises où la procédure est orale mais notant aussi que la justice civile est de plus en plus inquisitoire et la justice pénale de plus en plus contradictoire.
Frédérick Favre a présenté son point de vue en tant que directeur juridique et est revenu sur les attentes de l’entreprise en la matière, notant que l’on dispose de l’arsenal juridique nécessaire pour aller vers davantage d’oralité dans le procès ce qui est souhaitable en termes d’attractivité de nos juridictions vis-à-vis de nos contreparties. Il a également présenté les points négatifs (exercice qui peut être risqué et qui est disruptif pour l’entreprise) et les éléments positifs – plus nombreux – de l’exercice pour l’entreprise (opportunité pour l’entreprise de se réattribuer son procès, rapport direct avec le juge, utile pour les experts et les sujets techniques).
La seconde partie de la conférence a consisté à partager des conseils pratique pour mener au mieux et le plus efficacement possible l’audition du témoin.
Ioana Knoll-Tudor est revenue sur le rôle concret du conseil dans la préparation des témoins, le rôle principal de l’avocat étant d’aider les parties à identifier les points faibles du dossier et de leur expliquer l’importance du témoignage dans la procédure et pour la stratégie du dossier, a identifié les différences dans la préparation d’un expert technique et d’un témoin de fait et rappelé l’importance du choix du « bon » expert et du « bon » témoin.
Jean-Yves Garaud a rappelé que les textes déontologiques et le Code de procédure civile n’interdisent pas à l’avocat de rencontrer le témoin et de lui parler. Il a également rappelé la Résolution du Conseil de l’Ordre de 2008 concernant la préparation des témoins selon laquelle : « Dans le cadre des procédures arbitrales internationales, situées en France ou à l'étranger, il entre dans la mission de l'avocat de mesurer la pertinence et le sérieux des témoignages produits au soutien des prétentions de son client, en s'adaptant aux règles de procédure applicables.
Dans cet esprit, la préparation du témoin par l'avocat avant son audition ne porte pas atteinte aux principes essentiels de la profession d'avocat et s'inscrit dans une pratique communément admise où l'avocat doit pouvoir exercer pleinement son rôle de défenseur ».
Le rôle de l’avocat dans la préparation du témoin n’est pas d’inciter le témoin à faire un faux témoignage ; au contraire, le témoin doit dire la vérité.
Alexis Werl rejoint Jean-Yves Garaud sur le fait que l’interdiction de la préparation des témoins en droit français ne repose sur rien de tangible mais souligne qu’une telle préparation peut parfois être mal perçue – à tort – et finalement desservir la cause.
Frédérick Favre a indiqué que, du point de vue de l’entreprise, la préparation des témoins est essentielle.
Le Président Christian Wiest est revenu sur l’audition du témoin en pratique, rappelant que toute personne peut être entendue comme témoin à la demande d’une partie ou du juge, que les témoins pourront être invités par le juge à répondre aux questions posées par l’avocat adverse et que le contre-interrogatoire par l’avocat de la partie adverse est une possibilité.
Ioana Knoll-Tudor a donné quelques conseils pratiques pour l’interrogatoire et le contre-interrogatoire du témoin à l’audience, identifiant quelques points d’attaque, l’idée étant de prouver que le témoin cité par la partie adverse n’est pas fiable ou que le contenu de son attestation n’est pas exact ou que l’expert n’est pas indépendant ou compétent dans la matière sur laquelle il rend son rapport. Deux conseils notamment à retenir : (i) définir dès le départ les trois points à tirer du contre-interrogatoire, ce qui permet d’avoir une ligne de conduite à l’audience tout en gardant une certaine flexibilité car tout ne pas être anticipé et (ii) utiliser les pièces du dossier.
Jean-Yves Garaud a rappelé qu’il n’y a pas de pratique de l’« objection » à l’américaine en France et que le rôle de l’avocat qui présente le témoin s’arrête, en principe, à l’audience. Il revient au juge de jouer ce rôle et de pouvoir diriger les parties/témoins vers les points qui l’intéresse pour plus d’efficacité.
Les débats se sont clos après quelques questions de l’auditoire.